Encadré : Ramadan, mois du gaspillage alimentaire ?

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Par Norchène BEN DAHMANE MOUELHI, Ines BAHRI HAMMAMI, Salma-Inès DAOU, Souhé GAMHA

Cette section tente de comprendre les facteurs qui influencent le comportement des consommateurs en matière de gaspillage alimentaire durant Ramadan. La partie présente le gaspillage alimentaire durant Ramadan et la méthodologie de recherche adoptée. Ainsi, quinze entretiens individuels semi-directifs et de l’observation de 107 photographies de repas de familles ont permis d’explorer le sujet du gaspillage alimentaire. Les résultats révèlent les habitudes et rituels de consommation durant Ramadan ainsi que les causes du gaspillage alimentaire et les solutions proposées.

Introduction

« 1,3 milliard de tonnes de la nourriture produite chaque année dans le monde n’est jamais consommée, soit le tiers des aliments que nous produisons » (Stenmarck et al., 2016). Pourtant, le gaspillage alimentaire engendre des conséquences désastreuses par son impact : (1) économique tant à l’échelle microéconomique (l’individu ou le ménage en causant une grève du budget, de l’endettement, …), qu’à l’échelle macroéconomique, (le pays donnant lieu à des importations excessives, des sorties de devises, ...) ; (2) social (maladies liées à de mauvaises habitudes alimentaires) ; (3) environnemental (surexploitation des ressources naturelles, voir WRAP[1], 2011 ; FAO[2], 2014).

Bien que les premières études sur le gaspillage alimentaire aient concerné les pays industrialisés de l’Amérique et de l’Europe, ce fléau ne cesse de prendre de l’ampleur et de devenir un souci majeur (Edwards et Mercer, 2007). Le gaspillage alimentaire est une problématique mondiale. En France, 10 millions de tonnes de déchets alimentaires sont produits par an dont 1,2 million de tonnes de nourriture reste encore consommable (INC, 2017)[3]. En Tunisie, les résultats ne sont pas plus rassurants. Le gaspillage alimentaire s’est élevé à 1.570 MD en 2017, un phénomène encore plus saillant durant Ramadan (INC)[4]. Ramadan est célébré par plus de 1,7 milliard de musulmans (Imran et al., 2018) qui le considèrent comme une occasion pour la purification corporelle et la résistance aux tentations physiques (Hirschman, Ruvio et Touzani, 2011). Jeûner pour un musulman correspond à une abstinence totale durant un mois ; de boire, manger, fumer et ressentir tout plaisir sensuel de l'aube (Fajar) jusqu’au coucher du soleil (Maghreb). En même temps que les jeûneurs s’efforcent de résister aux tentations et de s’interdire tout plaisir culinaire le long des heures du jeûne, les suggestions commerciales de produits alimentaires prolifèrent, induisant ainsi l’excès et la surconsommation. Des travaux réalisés en Turquie (Odabasi et Argan, 2009) et au Qatar (Aktas et al., 2018) dans le contexte de Ramadan ont révélé qu’au vu de ce sentiment de privation généré par le jeûne, des changements des habitudes de consommation sont observés donnant ainsi lieu à plus d’achats imprévus et à une augmentation du budget « nourriture ». La surconsommation occasionnée par Ramadan augmente le volume des déchets et le taux du gaspillage alimentaire domestique. Le primat de la dévotion religieuse et de l’immatérialisme des plaisirs durant Ramadan serait concomitant à la frénésie collective de consommation et l’abondance (Touzani et Hirshman, 2008). Le présent travail examine, par le biais de 15 entretiens individuels et de l’observations de 107 photographies de repas de familles, comment le Tunisien perçoit, explique et dresse les contradictions entre son comportement de consommation et ses pratiques religieuses durant Ramadan.

L’effet Ramadan : de la surconsommation au gaspillage alimentaire

Les investigations sur le gaspillage alimentaire durant Ramadan sont rares. Il est possible de lier ce fléau à la surconsommation alimentaire du consommateur durant Ramadan (Aktas et al., 2018 ; Odabasi et Argan, 2009). Les privations vécues pendant les heures de jeunes sont compensées par des achats excessifs de nourriture. Touzani et Hirshman (2008) confirment l’importance de la nourriture chez le Tunisien durant Ramadan, engendrant l’adoption de rituels alimentaires propres à ce mois. La surconsommation, décrite comme un antécédent principal du gaspillage alimentaire, est définie comme la consommation de biens hédoniques par des individus avec des traits de personnalité indésirables, peu de morale, ou appartenant à des groupes restreints (Håkansson, 2014). Typique des sociétés capitalistes, la surconsommation vient s’opposer aux formes de consommation dite « éthique » ou « durable » (Caruana et al., 2019). La consommation responsable est contrastée dans la littérature à la surconsommation ou hyperconsommation, cause du gaspillage alimentaire (Kjellberg, 2008).

Le gaspillage alimentaire correspond au fait de supprimer de la chaîne alimentaire des aliments périmés, expirés ou même comestibles à cause de comportements ou facteurs contextuels et culturels (Aschemann-Witzel et al., 2015). Le gaspillage apparait tout au long de la chaîne alimentaire, de la production (pertes alimentaires) à la distribution et la consommation (gaspillages alimentaires ; Porpino et al., 2015). Le gaspillage alimentaire est considéré comme spécifique aux pays à revenu élevé (Gustavsson et al., 2011). Dans les pays à faibles revenus, les déchets au stade de la consommation sont minimes en raison du pouvoir d'achat limité et de l'approvisionnement en denrées alimentaires en petites quantités (Gustavsson et al., 2011). Malgré cela, pourquoi le gaspillage alimentaire des ménages semble-t-il si répandu ? Il existe peu d'études sur le gaspillage alimentaire et son association avec le comportement du consommateur dans un contexte culturel spécifique (Aktas, et al. 2018). Le mois de Ramadan est de ce fait un facteur contextuel de modification des habitudes de consommation alimentaire à explorer.

Méthodologie

Dans la perspective d’appréhender le gaspillage alimentaire domestique en Tunisie, Daou et al. (2019) ont mené trois focus group auprès de 22 consommateurs qui avaient pour objectifs (1) d’explorer l’opinion des consommateurs concernant le sujet du gaspillage alimentaire et (2) d’en déterminer les facteurs explicatifs.

Selon les résultats de cette étude, le phénomène du gaspillage alimentaire est surtout accentué par des variables telles que le contexte physique et temporel. Le contexte de Ramadan apparait dans les discours comme le mois du gaspillage par excellence. La présente recherche vient explorer ce contexte particulier en Tunisie à travers des entretiens individuels et des observations.

Le contexte de la recherche : Ramadan en Tunisie

Les croyances culturelles et religieuses ont une influence sur la vie, le comportement et la prise de décision des individus (Al-Ississ, 2010). La religion est une force centrale qui affecte les préférences, les décisions et l’humeur des individus. Ramadan est le quatrième pilier de l’islam, il s’agit du neuvième mois du calendrier lunaire islamique (Hijri), il dure 29 à 30 jours en fonction des observations visuelles du croissant de lune (Touzani et Hirschman, 2008). Le respect du Ramadan est un régime de comportement bien défini par lequel les adeptes du monde entier pratiquent le jeûne (Sawm). Le jeûne pendant le ramadan est obligatoire pour tous les musulmans en bonne forme physique et mentale et comprend l'abstention de consommation d'aliments et de boissons et d'activités de vice et d’activités sexuelles, de l'aube au coucher du soleil (Kuran, 2018). Ce mois discipline la vie d’un musulman de manière spécifique et crée un changement dans sa routine quotidienne. Le petit-déjeuner (Shour) est pris avant l'appel du matin pour les prières. La fin du jeûne (Iftar) est un festin avec la famille et/ou les amis après le coucher du soleil. Les desserts, surtout traditionnels, et les boissons à base de sucre constituent un essentiel de la soirée dans le monde entier[5]. Leur origine peut être attribuée à la nécessité évolutive de disposer d’une source de glucose immédiate et facilement disponible dans un corps à jeun, épuisé en glucose (Rakicioglu et al., 2006).

Les études qui portent sur Ramadan se sont focalisés sur (1) ses conséquences physiologiques (perte de poids corporel, changements métaboliques importants et symptômes tels que irritabilité, maux de tête, privation de sommeil et lassitude ; Haruvy et al., 2018) ; (2) ses conséquences sur l'humeur et les émotions qui jouent un rôle important dans le comportement des investisseurs et les rendements des marchés boursiers (Wasiuzzaman et al., 2018) ; (3) ses conséquences économiques et sociales surtout sur le rendement des travailleurs (Haruvy et al., 2018) ainsi que sur les dépenses de consommation durant tout le mois et notamment à la célébration de la journée marquant la fin du Ramadan : Aïd Al-Fitr (Kuran, 2018). Dans cette recherche, ce contexte est exploré afin de comprendre le contraste entre ce que préconise la religion musulmane comme jeûne et abstinence (Touzani et Hirschman, 2008) et le gaspillage.

L’étude exploratoire durant Ramadan

L’objectif de cette étude est d’explorer les rituels et habitudes de consommation dans le foyer tunisien afin d’identifier l’effet du contexte de Ramadan sur le gaspillage alimentaire. Deux méthodes de collecte de données ont été privilégiées : des observations et des entretiens semi-directifs.

Les entretiens individuels semi-directifs ont permis d’explorer les habitudes, les attitudes, les causes et les solutions relatives au gaspillage alimentaire. 15 personnes, âgées entre 20 et 36 ans, de différentes CSP, issues de familles ayant accepté de faire partie de l’étude ont été interrogées (Annexe 1) et le guide d’entretien a été utilisé (Annexe 2). Des observations ont été réalisées avec des photographies des tables des répondants avant et après la rupture du jeune (Annexe 3).

Comportement et gaspillage alimentaire pendant Ramadan

Les entretiens ont été enregistrés, retranscrits et ont fait l’objet d’une analyse thématique manuelle. Afin d’assurer une bonne fiabilité et validité de cette étude, les informations collectées ont été analysés par deux chercheurs (Andréani et Conchon, 2005). Cette analyse a mis en exergue les informations inhérentes au gaspillage alimentaire durant Ramadan (Bardin, 2013). L’observation a été faite à partir des photos des tables suivant une démarche excentrée et un inventaire statique. Les photos ont été visualisées plusieurs fois, rangées et classées d’une manière standardisée dans une grille d’observation par les chercheurs. Ensuite, elles ont été utilisées comme support lors des entretiens menés (Collier et Collier, 1986 ; Dion et al., 2008).

Les spécificités du comportement de consommation durant Ramadan

Les résultats permettent d’élucider des comportements de consommation spécifiques au Tunisien durant Ramadan. Trois transformations majeures du mode de consommation sont enregistrées :

(1) La fréquence des courses se multiplie : « On s’approvisionne deux fois par semaine. Mais pendant Ramadan, ça change un peu et les courses deviennent plus fréquentes » (S8).

(2) Le lieu d’approvisionnement change pendant Ramadan selon la nature des courses (dans les grandes surfaces pour la plupart des courses, le marché ou les souks pour les fruits et légumes, l’épicier du coin pour les courses d’appoints) comme l’atteste ces verbatim « Les courses sont effectuées dans les grandes surfaces pendant Ramadan mais aussi chez l’épicerie du coin » (S8) ; « Pour le pain, c’est la boulangerie du coin, à la dernière minute, pour avoir le pain chaud » (S7).

(3) L’installation de nouveaux rituels de consommation allant de la consommation individuelle restreinte à une consommation communautaire plus élargie. Les Tunisiens privilégient davantage les réunions familiales autour d’une table de rupture du jeûne bien dressée comportant une variété de produits spécifiques à ce mois saint (Tableau 1). Les résultats indiquent un changement des produits achetés et des plats cuisinés pendant Ramadan par rapport au reste de l’année. Un répondant (S2) révèle « Il y a des choses que je ne mange que pendant le Ramadan » ; « Je pense ce qui caractérise ce mois, ce sont les briks, la soupe… » (S9) ; « La Malsouka[6] et la Zlebia on en achète fréquemment… ce sont nos traditions » (S6). Il s’agit d’une forte transformation à l’échelle de la communauté. Les résultats rejoignent les constats de Hirschman et al. (2011) qui parlent d’un passage de la concentration sur les préoccupations quotidiennes individuelles vers le sens de l’identité et de la conscience de groupe.

Tableau 1 : Plats préparés pendant Ramadan
Type Désignation Nombre Remarques
Entrées Soupe 107/107 Durant Ramadan, toutes les familles observées ont préparé :

- de la soupe

- au moins une salade

- des briks ou du tajine

- un plat principal.

Brik 78/107
Salade Méchouia 45/107
Dattes 43/107
Salade verte 34/107
Salade tunisienne 30/107
Tajine 12/107
Salade blankit 9/107
Plats principaux Pâtes (Couscous, Spaghetti, Riz, etc.) 66/107 Concernant le plat principal la consommation des pâtes est supérieure à la consommation des plats secs et des sauces.
Plats secs (Grillades, Pizza) 44/107
Sauces (Roti, Petit pois, lentilles, haricot, etc.) 43/107

Une fois rassasiés, la plupart des Tunisiens regardent les feuilletons, une occasion pour les entreprises d’augmenter leurs insertions publicitaires durant Ramadan[7]. La soirée se termine par le Shour pour bien tenir le jeûne du lendemain.

Ramadan : le mois « sacré » du gaspillage alimentaire

Les résultats de l’étude qualitative montrent une contradiction entre les déclarations des interviewés et leurs comportements de consommations effectifs durant Ramadan. En effet, les répondants perçoivent le gaspillage alimentaire comme un comportement individualiste indigne qui s’oppose à la religion musulmane (« C’est de l’égoïsme et du manque d’empathie » (S10) ; « un manque de reconnaissance envers le bon Dieu » (S2). Pourtant, les observations avant et après la rupture du jeûne révèlent que 70 % des plats préparés, 40 % du pain acheté et 21 % des boissons sont gaspillés. Ces résultats rejoignent ceux de l’INC (2017) qui attestent que durant ramadan 66,6% des plats cuisinés et 46% du pain sont gaspillés. Les causes du gaspillage ont été analysées selon leurs phases d’apparition, de la phase de planification et d’achat à la phase de consommation des aliments (Tableau 2).

Tableau 2 : Les principales causes du gaspillage alimentaire durant Ramadan
Phase Causes Exemples de Verbatims
Phase de planification et achat La réalisation des achats sans liste « Le gaspilleur est une personne mal organisée » (S4).
Les envies dues au jeûne « Quand on achète, en ayant faim, ça favorise les envies et les achats non planifiés » (S11).
La publicité et les étalages des produits « Le consommateur ne se retient pas à cause de la pub qui l’incite à consommer, elle se développe d’une manière spectaculaire durant Ramadan » (S15)
L’achat en grande quantité « Nous, les tunisiens on a été élevés comme ça. On achète en grandes quantités on ne peut pas acheter en petites quantités » (S11).
La dévalorisation des produits à faible prix « La Tunisie est l’un des rares pays où le pain continue à être subventionné par l’Etat. Les gens achètent la baguette à 200 millimes ... puisque ce n’est pas cher, ils en achètent sans compter puis ils finissent par jeter le reste » (S2).
Le manque de sensibilisation « L’Etat n’intervient pas pour limiter les dégâts et sensibiliser » (S5)
Phase de préparation des aliments La surestimation des besoins « C’est le mois où la famille se réunit le plus. Tous les soirs il y a soit les parents soit les grands parents et les petits enfants ou bien les amis. Pour cette raison les gens cuisinent plus, de peur que les quantités ne suffisent pas » (S12).
Le goût pour la variété « Ma mère veut chaque jour faire une soupe différente » (S3).

« Durant Ramadan, on préfère préparer beaucoup de plats variés » (S7).

L’imitation et désirabilité sociale « Il y a tout un phénomène d’entrainement des uns et des autres par imitation... Ils n’arrêtent pas d’échanger des menus tels que les préparations de la veille » (S5).
Phase de consommation Le goût pour la nouveauté « Généralement les gens n’aiment pas manger la même nourriture deux jours de suite surtout durant Ramadan, ils préfèrent manger de nouveaux plats » (S4)
La surestimation de la capacité à manger « Comme on dit on mange avec les yeux » (S1)
Le manque d’éducation « On n’apprend pas aux enfants dès leur jeune âge à terminer leurs plats et à se servir que ce qu’ils peuvent manger » (S9)

Les solutions potentielles au gaspillage durant Ramadan

Les résultats révèlent les intentions des répondants de réduire le gaspillage (« J’essayerai de ne pas jeter les aliments. Je finis mon assiette et si jamais j’en laisse, je garde ce qui reste et je le mange ultérieurement » S10) et de faire des efforts de sensibilisation auprès de leurs entourages (« Je serais prête à parler avec des jeunes, des enfants. En fait ce n'est pas que la communication mais plus : Il s’agit de mettre les mains à la pâte » S6).

Concernant les solutions, la plupart des répondants proposent une meilleure intervention de l’Etat. Que ce soit à travers la sensibilisation des citoyens « J’ai aimé l’initiative de l’INC, pour un premier pas, ce n’est pas mal, mais il faut continuer et persévérer » (S4) ; L’instauration d’une culture anti-gaspillage dans les programmes d’éducation à l’école : « On peut même faire des documentaires sur le gaspillage » (S9) ; voire même sanctionner avec des taxes : « Le principe de punition ; on paye si on jette beaucoup de nourriture » (S4).

L’intervention des associations à travers des spots publicitaires peut être suggérée « Des numéros verts et des associations comme les restos du cœur » (S1) et des parents en inculquant une éducation anti-gaspillage « Apprendre aux enfants à gérer leurs relations avec l’alimentation …ça va aider les gens à modérer leur consommation » (S5) et par l’adoption d’un esprit de citoyen responsable pour minimiser le gaspillage et diffuser une culture anti-gaspillage[8] « Il faut en parler, partager plusieurs avis, comprendre comment les autres voient les choses, on peut les influencer…» (S5).

Discussion, apports, limites et voies de recherche

Ce travail a permis d’explorer, par le biais de deux études qualitatives, le gaspillage alimentaire durant Ramadan dans un contexte tunisien. Les résultats révèlent une contradiction entre les déclarations des participants et leurs comportements réels de consommation. Alors que les répondants considèrent le gaspillage alimentaire comme une atteinte à la fois à la communauté et à la religion, ils continuent de jeter en abondance les produits qu’ils achètent et les plats qu’ils préparent. Ce contraste entre le comportement enregistré par l’étude est justifié par une culture de consommation tunisienne propre à Ramadan autorisant des achats plus fréquents, des préparations gastronomiques plus abondantes et un partage culinaire plus orienté vers le collectif. Ce résultat est appuyé par Hirschman et al. (2011) qui attestent que Ramadan est une occasion propice pour les tunisiens de renouer contact avec la famille, les amis et la communauté entière contrairement au reste de l’année. Dans le même esprit, Touzani et Hirschman (2008) montrent que Ramadan aurait un impact sur le comportement général des Tunisiens, à travers l’installation de rituels oblatifs nouveaux, orientés davantage vers un conformisme collectif et un partage communautaire. Appliquée au contexte du Qatar, Aktas et al. (2018) généralisent la problématique du gaspillage alimentaire durant Ramadan à une culture communautaire arabe considérant la surconsommation comme un indicateur d’hospitalité et de bienveillance collective. Ce cadre spatial et temporel, ayant rarement suscité l’intérêt de chercheurs, révèle des causes au gaspillage non mentionnées dans les recherches antérieures (Aschemann-Witzel et al., 2015 ; Porpino, Patente et Wansink, 2015) telles que les envies dues au jeûne et la dévalorisation des produits subventionnés à faibles coûts. Du point de vue managérial, il convient d’attirer l’attention des consommateurs sur l’importance du phénomène du gaspillage alimentaire surtout sur le plan environnemental. En effet, les consommateurs ne se rendent pas compte des conséquences environnementales du gaspillage alimentaire. Ainsi, l’Etat pourrait instaurer des programmes éducatifs dans les écoles visant à enraciner ces valeurs chez les citoyens dès le jeune âge[9]. Les associations, de leur côté, doivent être plus actives avec la diffusion d’une culture anti-gaspillage.

Pour conclure, cette recherche comprend certaines limites qui sont autant d’opportunités pour des recherches futures. Une étude quantitative et cross-culturelle serait intéressante pour comparer les résultats avec d’autres pays musulmans et approfondir le lien entre les pratiques religieuses et le gaspillage alimentaire (Porpino, 2016). Une autre étude pourrait porter sur d’autres périodes comme Noël ou Pâques ou sur des célébrations comme les mariages se caractérisant par le gaspillage alimentaire.

Références

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· Aktas, E., Sahin, H., Topaloglu, Z., Oledinma, A., Samsul Huda, A.K., Irani, Z., Sharif, A.M., Wout, T. et Kamrava, M. (2018). A consumer behavioural approach to food waste. Journal of Entreprise Information Management, 31 (5), 658-673.

· Al-Ississ, M. (2010) The Impact of Religious Experience on Financial Markets, Harvard Kennedy School of Government, Cambridge.

· Andréani, J.C. et Conchon, F. (2005). Fiabilité et validité des enquêtes qualitatives. Un état de l’art en marketing. Revue Française du Marketing, 201 (5), 5-21.

· Aschemann-Witzel J., de Hooge L., Amani P., Bech-Larsen T. et Oostindjer M. (2015). Consumer-Related Food Waste: Causes and Potential for Action, Sustainability, 6457-6477.

· Bardin, L. (2013). L’analyse de contenu, Quadrige, Presses Universitaires de France.

· Collier, J., et Collier, M. (1986). Visual anthropology: Photography as a research method. UNM Press.

· Caruana, R. Glozer, S. et Eckhardt, G.M. (2019). ‘Alterative Hedonism’: Exploring the role of pleasure in moral markets. Journal of Business Ethics.

· Daou, S.I. et Bahri Hammami, I. et Ben Dahmène Mouelhi, N. 2019. Halte au gaspillage alimentaire !, Colloque Internationale de l’Association Tunisienne du marketing (ATM), Hammamet, Tunisie.

· Dion, D., Béji-Bécheur, A., Yohan, B., Dias Campos, R., Lombart, C. Ozcaglar-Toulouse, N., Rodhain, A. Trendel, O., Herbert, M., Pinson, C. (2008). A la recherche du consommateur : nouvelles techniques pour mieux comprendre le client, 232, Dunod.

· Edwards, F. et Mercer, D. (2007). Gleaning from Gluttony: An Australian youth subculture confronts the ethics of waste. Australian Geographer, 38 (3), 279-296.

· Evans, D. (2011). Blaming the consumer - once again: the social and material contexts of everyday food waste practices in some English households. Critical Public Health, 21, 429–440.

· Gustavsson, J., Cederberg, C., Sonesson, U., Van Otterdijk, R. et Meybeck, A. (2011). Global Food Losses and Food Waste: extent, causes and prevention. Food and Agriculture Organization of the United Nations (FAO), Rome, Italy, pp-10-26.

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· Haruvy, E.E., Ioannou, C.A. et Golshirazi, F. (2018). The religious observance of Ramadan and prosocial behavior. Economic Inquiry, 56 (1), 226-237.

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· Imran, Y., Shoaib, A. et Syed Zulfiqar, A.S. (2018). Herding behavior in Ramadan and financial crises: the case of the Pakistani stock market. Financial Innovation, 4 (16), 1-14.

· Kjellberg, H. (2008). Market practices and over-consumption. Consumption markets & Culture, 11 (2), 151-167.

· Kuran, T. (2018). Islam and economic performance: Historical and contemporary links. Journal of Economic Literature, 56 (4), 1292-1359.

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· Porpino, G. (2016). Household food waste behavior: Avenues for future research. Journal of the Association for Consumer Research, 1(1), 41-51.

· Rakicioglu, N., Samur, G., Topçu, A. et Topçu, A.A. (2006). The effect of Ramadan on maternal nutrition and composition of breast milk. Pediatrics International, 48 (3), 278-283.

· Stenmarck Å., Jensen C., Quested T. et Moates G. (2016). Estimates of European food waste levels. Commissioned by the European Commission in the FUSION project.

· Touzani, M. et Hirschman, E.C. (2008). Cultural syncretism and Ramadan observance: Consumer research visits islam. In NA- Advances in Consumer Research, 35, eds Angela Y. Lee and Dilip Soman, Duluth, MN: Association for Consumer Research, 374-380.

· Wasiuzzaman, S., et Abdullah Al-Musehel, N. (2018). Mood, religious experience and the Ramadan effect. International Journal of Emerging markets, 13 (1), 290-307.

Annexes

Annexe 1 : Structure de l’échantillon interrogé lors des entretiens

Sujet Âge Profession Profil dans la recherche
S.1 21 Retraitée Cuisinier / Consommateur
S.2 22 Directrice à la banque centrale Acheteur / Cuisinier Consommateur
S.3 21 Médecin Acheteur / consommateur
S.4 20 Professeur Acheteur / Consommateur / Cuisinier
S.5 21 Professeur Consommateur / Cuisinier
S.6 20 Etudiante Cuisinier / Consommateur
S.7 35 Statisticienne Consommateur
S.8 36 Doctorante Consommateur
S.9 34 Cadre retraité Acheteur / Consommateur
S.10 32 Médecin Acheteur / Consommateur
S.11 30 Psychiatre Acheteur / Consommateur
S.12 31 Manager Consommateur
S.13 35 Doctorant Acheteur / Consommateur
S.14 36 Doctorant Acheteur / Consommateur
S.15 30 Etudiant Consommateur

Annexe 2 : Le guide d’entretien

Phase d’introduction

- Quelles sont vos activités durant le mois de Ramadan ? - Quelles sont vos pratiques domestiques plus précisément ?

Thème 1 : Habitudes d’achat et rituels de consommation :

- Généralement dans votre foyer qui fait les courses ? A quelle fréquence ? Où sont-elles effectuées ?

- Qui prépare à manger chez vous ? Que pensez-vous des plats qu’il/elle prépare ? En termes de saveur, de quantité ?

- D’après vous qu’est ce qui change durant le mois de Ramadan en termes d’achats ?

- D’après vous qu’est ce qui change durant le mois de ramadan en termes de consommation ? Expliquez.

- Y a – t - il des produits que vous n’achetez qu’au mois de ramadan ?

Thème 2 : Attitudes envers le gaspillage alimentaire :

- En visualisant ces images, qu’est-ce qui vous vient directement à l’esprit ? Qu’en pensez-vous ?

- A votre avis pourquoi les consommateurs n’ont-ils pas consommé toute la nourriture ? Pourquoi existe-t-il autant de plats restants ?

- Selon vous quel serait le sort de ces restes ?

- Si vous étiez dans cette situation comment vous vous seriez vous sentis ? Pourquoi ?

Annexe 3 : Exemples de photographies des tables durant le mois de Ramadan

Image3 photos ramadan.png


[1] The Waste and Resources Action Programme

[2] Food and Agriculture Organization : Organisation des nations unies pour l’alimentation et l’agriculture.

[3] https://www.inc-conso.fr

[4] http://www.inc.nat.tn/

[5] L'Égyptien Umm Ali, la Baklava turc, l'Émirati Luqaimat, le Kolak indonésien, le Jilapi bangladais et la Zlebia Tunisenne sont quelques exemples de desserts traditionnels (Abrar Hossain, Abul Basher, et Enamul Haque, 2018).

[6] Feuilles de brik

[7] http://www.sigma.tn/upload/1479065102.pdf ; http://www.sigma.tn/Fr/actualites_7_10_D59

[8] Exemple : le premier incubateur tunisien à impact social et solidaire labess.tn ou encore l’application anti gaspillage foodealz

[9] Exemple : Le collège Gustave Flaubert de la Marsa (ERLM) a organisé avec l’INC une journée de sensibilisation à destination des collégiens le 16 octobre 2017. https://www.erlm.tn/lgf/programme-de-journee-de-lutte-contre-gaspillage-alimentaire/