Débat – Le crowdsourcing : une démarche éthique ?

From MARKETING POUR UNE SOCIETE RESPONSABLE
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Linda HAMDI-KIDAR

De quoi parle-t-on ?

La course à l’innovation et la recherche de solutions originales et créatives a poussé un grand nombre d’entreprises à mettre en place des stratégies de crowdsourcing en lançant des appels à contribution sous la forme de « challenges d’innovation ».

En 2006, le journaliste Howe, propose de définir le crowdsourcing comme « l’acte de prendre un travail habituellement réalisé par un agent bien désigné (généralement, un employé) et d’externaliser cette tâche vers un large groupe de personnes indéfini via un appel à contribution ouvert (i.e. public) ».

Depuis une vingtaine d’années, les entreprises ne cessent de multiplier les initiatives de crowdsourcing

  1. avec des tâches créatives très diverses parmi lesquelles la génération d’idées, le design de logos ou de produits, la promotion de nouvelles solutions
  2. et bien d’autres activités.

Malgré cet engouement pour le crowdsourcing, sa gestion ne semble pas encore complètement maîtrisée par les entreprises et de nombreuses questions notamment éthiques ont émergé concernant l’ensembles des parties prenantes impliquées – les consommateurs, les employés en entreprise et les marques.

Pour ou contre ?

Pour Contre
Du point de vue des marques
Le crowdsourcing présente des atouts pour les marques. Indéniablement, les résultats en termes de solutions innovantes développées et l’engagement des consommateurs le prouvent.
  • Efficacité des solutions issues du crowdsourcing : les propositions des consommateurs sont plus proches des attentes des utilisateurs finaux ce qui encourage leur acceptabilité par le marché.
  • Réduction des coûts pour le développement de solutions innovantes puisque pour chaque challenge lancé, l’entreprise peut recevoir une centaine voire des milliers de propositions de solutions pour un problème donné. Cette ouverture permet d’aller bien au-delà des capacités créatives des équipes R&D et Marketing en interne.
  • Gestion de la relation client. Les consommateurs considèrent que ces actions de crowdsourcing témoignent de la proximité de la marque avec ses consommateurs et son orientation client.
Le crowdsourcing peut toutefois présenter certains risques et limites pour les marques :
  • Potentielle perte de contrôle de l'entreprise en termes de gestion et de planification de ses projets
  • Risques liés aux droits de la propriété intellectuelle (risque de confusion quant à la paternité d'une solution innovante)
  • Risques liés à la confidentialité des projets (risque de fuite d'informations vers les concurrents)
  • Des coûts importants en termes de temps et de ressources humaines à supporter pour l’évaluation d’un nombre pléthorique de soumissions afin de faire émerger la solution optimale[3]
Du point de vue des consommateurs
Côté consommateur, les participants aux actions de type crowdsourcing bénéficient de certains avantages :
  • Une offre plus personnalisée pouvant être sur-mesure. Les consommateurs ont le sentiment de participer au développement et à la promotion de l’offre
  • Le sentiment d’empowerment que peuvent ressentir les consommateurs notamment à travers la perception de l’acquisition d’une certaine autonomie/contrôle et compétence vis-a-vis de la marque
  • Le sentiment de plaisir lié à la réalisation de tâches créatives
  • Dans une moindre mesure, certains consommateurs au sein de communautés spécialisées en font presque leur « métier » pouvant être bien rémunérés (les serial-winners).
Cependant, l’expérience de participation à une action de crowdsourcing peut être à l’origine de critiques de la part des consommateurs si certaines conditions ne sont pas réunies[4] :
  • Il existe un réel débat sur le travail dissimulé des consommateurs. Certains n’hésitent pas à employer les termes « d’exploitation » ou de « travail gratuit »[5]. Ceci est lié aux systèmes de récompenses de ces initiatives de crowdsourcing (seuls les consommateurs ayant suggéré les meilleures solutions sont récompensés[6], les autres non)
  • Le sentiment d’injustice qui peut naître lorsqu’un participant ne figure pas parmi les gagnants[7]
  • La nécessité de prendre en compte l’intensité de la difficulté perçue pour certaines tâches créatives[8]
  • Le sentiment de ne pas être écouté par la marque (cas où la marque ne suit pas les propositions formulées par les consommateurs pourtant sollicités).
Du point de vue des employés


Moins documentés, les conséquences sur les équipes en interne sont mitigées avec d’une part :

La stimulation de la créativité des équipes en interne. En effet, les employés reconnaissent les bienfaits de l’ouverture, de la collaboration et de la proximité avec les consommateurs.

…Et d’autre part :


Le sentiment de rejet que peuvent avoir certains employés qui se sentent dépossédés de leurs tâches, qui ne comprennent pas toujours le rôle qu’ils doivent jouer et ce qui est attendu par leur hiérarchie – effet du « not made in here »

Comment accompagner le développement de la pratique ?

La question d’un crowdsourcing éthique n’en est qu’à ses débuts et nécessite l’application de bonnes pratiques en vue de parvenir à plus de transparence, d’équité et d’équilibre pour toutes les parties prenantes impliquées. Un manuel récemment co-écrit par des chercheurs en Marketing en France et à l’international revient sur les pratiques et les implications éthiques de ces stratégies collaboratives. Ils proposent de nombreuses pistes de réflexion pour les managers désireux mettre en œuvre des actions de crowdsourcing. Ils les invitent notamment à se poser les questions suivantes avant le lancement de ces stratégies :

  • Qui détient les droits de propriété intellectuelle des solutions co-développées ?
  • Quelle est la bonne répartition du travail (des tâches) entre les employés en interne et les consommateurs qui collaborent ?
  • Quels systèmes de récompense sont équitables et pertinents en vue d’éviter les problématiques liées au travail gratuit ?
  • Quelle est l’intensité de la difficulté perçue par les consommateurs pour certaines tâches créatives et de fait, l’accompagnement proposé par l’entreprise ?
  • Quels sont les modes de communications à privilégier pour assurer un dialogue clair, transparent ?

La prise en compte de ces éléments est cruciale notamment en termes d’impact sur la réputation des entreprises qui doivent tenir compte de la recherche de réciprocité de la part des consommateurs collaboratifs.

Références

  • Von Wallpach, S., Gyrd-Jones, R., & Markovic, S. (2018). Brand Co-creation: Innovation Opportunities and Ethical Challenges. Special Interest Group Proposal. In K. Hamilton, M. Alexander, S. Gounaris, M. Karampela, & E. Lacka (Eds.), Proceedings of the European Marketing Academy (EMAC) Conference 2018: People Make Marketing European Marketing Academy. EMAC. Proceedings of the European Marketing Academy
  • S. Markovic, R. Gyrd-Jones, S. von Wallpach, & A. Lindgreen (Eds.), Research handbook on brand co-creation: Theory, practice, and ethical implications Edward Elgar Publishing.

[1] Sawhney et al., 2005 ; Shenk et Guittard, 2009

[2] (Franke et al. 2014)

[3] Hutter et al., 2011

[4] Innocent et al. (2017) ; Le Nagard et Reniou (2013)

[5] Cova, Dalli & Zwick (2011)

[6] Acar (2018) ; Salgado et De Barnier (2016)

[7] Faullant et al. (2012) ; Jouiny-Rivier et Poutier (2020)

[8] Haumann et al. (2015)